La Nouvelle-Calédonie face à l’Histoire (3/8)
Chapitre 3 – Le défi du mariage entre société occidentale et société kanake
Comme beaucoup de territoires d’Outre-Mer, la Nouvelle-Calédonie est riche d’une culture autochtone qui imprègne profondément sa société. L’arrivée massive des colons et des bagnards, suivie par l’immigration de populations asiatiques et océaniennes, a créé un important pluralisme ethnique en Nouvelle-Calédonie. Cette mixité, fragilisée par les « Evènements », a amené les néocalédoniens à accorder une importance singulière à leurs identités. Aussi, la société néocalédonienne a longtemps été structurée de manière informelle entre les Kanaks et les autres ethnies de l’île. Si le destin commun n’est pas encore une réalité, le processus d’autodétermination presse cependant les Néocalédoniens à tendre vers ce dernier, en créant les dispositions nécessaires à l’établissement d’une société plus unie, a fortiori plus pérenne.
Sans systématiquement s’opposer de manière antagoniste, société kanake et société occidentale connaissent de nombreuses pierres d’achoppement. Pour Alban Bensa, la société kanake est une « société de clans » qui ne répond pas d’un « système étatique ». Alors que la légitimité des sociétés occidentales repose sur le respect de la puissance étatique – qui par un contrat social hobbesien détient le monopole de la violence légitime –, il n’existe pas de système analogue pour la société kanake. Aussi, sans « Léviathan » capable de trancher les litiges, la négociation et le consensus deviennent des éléments incontournables des interactions sociales. « Le sens de l’autre, le sens de l’écoute, la recherche d’un consensus, la préservation du lien social sont des valeurs qui caractérisent » le peuple kanak, et qui diffèrent, en un sens, du fonctionnement centralisé, étatisé et démocratique des sociétés occidentales, où le consensus est trouvé à force de vote et non de décision unanime. Dans cette logique, l’usage de la parole est capital. La coutume en est l’exemple le plus probant. Alors que nos sociétés occidentales scripturales où « Verba volant, scripta manent », la société kanake va apporter une attention particulière à la parole et va délaisser le rôle de l’écrit.
A contrario de nos sociétés occidentales, le collectif et l’établissement géographique vont primer dans la société mélanésienne. L’identité kanake se définit à travers l’appartenance et l’action au sein d’une tribu, établie sur un espace géographique précis. Le rapport à la terre est ici consubstantiel de l’identité. Il est ce qui définit un homme, et donc un kanak. Est kanak celui qui vient de la terre kanake, c’est-à-dire de Kanaky. Aussi, concevoir la Nouvelle-Calédonie comme autre chose que la terre des Kanaks, c’est concevoir les Kanaks comme autre chose que ce qu’ils sont. Cet enchevêtrement entre espace géographique et définition anthropologique vient donc complexifier, plus encore, la situation sociétale néocalédonienne. Car au-delà du problème politique, avec l’autodétermination se joue également une question anthropologique, bien plus complexe à solutionner.
Avec ce fonctionnement, c’est dans un système de valeurs différent de celui des Occidentaux qu’évoluent les Kanaks. Cette différence complique les rapports sociaux en Nouvelle-Calédonie puisqu’elle crée un dualisme sociétal. Or, pour fonctionner, une société unie doit pouvoir s’appuyer sur un socle de valeurs communes à tous les individus qui la composent.
Une lueur d’espoir est cependant apparue depuis quelques années. Consciente de la nécessité de s’unifier pour construire un destin commun, la société néocalédonienne a débuté une réflexion et un travail sur son identité. Lors des derniers recensements, 20% de la population se définissait comme « néocalédonien ». Une augmentation substantielle lorsqu’on sait qu’ils n’étaient que 4,6% à le faire en 1983. Ce chiffre vient étayer l’idée, ô combien essentielle, qu’une identité néocalédonienne s’est construite en se fondant sur des valeurs qui transcendent les appartenances ethniques. Cette identité néocalédonienne est la preuve de l’efficacité du travail débuté, depuis les années 1980, visant à rapprocher les différentes ethnies du Caillou. Un exemple de plus, s’il fallait encore en faire la démonstration, que le temps, la parole et le métissage sont les meilleurs émissaires de paix et de concorde pour la Nouvelle-Calédonie.
Alors qu’elle a longtemps joué en sa défaveur, la dualité sociétale néocalédonienne pourrait devenir, à terme, une de ses forces et a fortiori un vecteur du rayonnement régional français. Si les Néocalédoniens trouvent une voie vers ce fameux destin commun, ils deviendront des exemples à suivre pour leurs voisins Salomonais, Fidjiens et Papous notamment, qui connaissent, eux aussi, d’importantes difficultés à faire cohabiter leurs différentes ethnies. Pour la France, réussir le syncrétisme sociétal du mariage de la société occidentale et kanake lui fera gagner le respect des différents Etats de la région. Particulièrement celui des petits Etats insulaires du Pacifique qui, à l’instar de leur relation avec la Nouvelle-Zélande, affichent un profond respect à l’endroit des anciennes puissances coloniales de la région qui ont su accueillir et mettre en avant les cultures autochtones. Aussi, avec le défi du mariage des sociétés occidentales et kanakes c’est plus que le seul sort des Néocalédoniens qui se joue.
Bastien VANDENDYCK
Notes :
1. La Nouvelle-Calédonie compte 8 grandes aires coutumières, subdivisées en 57 districts coutumiers. Au total, on dénombre un peu plus de 340 tribus sur tout le territoire. Chiffres de l’ISEE – 2014.
2. Anthropologue français, spécialiste de la société kanake, directeur d’étude à l’EHESS.
3. Entretien avec Alban Bensa, le 1er juillet 2016, à 11h20, à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS).
4. Cérémonie obligatoire d’introduction à une tribu lors de la première venue. 5 Les paroles s’envolent, les écrits restent.
6. Nom donné par les indépendantistes kanaks à la Nouvelle-Calédonie.